En finir avec « Euclide » : le discours sur la supériorité raciale et civilisationnelle

Résumé

Pour éliminer les préjugés racistes, il est nécessaire d’identifier la ou les causes profondes du racisme. L’esclavage américain a précédé le racisme et il a été étroitement associé au génocide. Par conséquent, nous cherchons la cause unique de l’événement unique génocide + esclavage. Celui-ci était initialement justifié par des préjugés religieux plutôt que par des préjugés de couleur. Cette justification religieuse avait été mise en défaut lorsque de nombreux Noirs se sont convertis au christianisme après la traite transatlantique des esclaves. La « malédiction de Kam » qui utilise des repères visuels rapides pour caractériser les Noirs comme des chrétiens inférieurs, était inadéquate. L’Église s’est donc rabattue sur une ancienne ruse consistant à utiliser la fausse Histoire comme justification séculaire de la supériorité chrétienne. Cette astuce avait donné lieu à une fausse histoire de la science pendant les croisades, lorsque les connaissances scientifiques contenues dans les textes arabes traduits ont été attribuées inconditionnellement aux anciens Grecs, sans aucune preuve. Cette fausse Histoire a permis à la croyance en la supériorité religieuse de se transformer en une croyance séculaire en la supériorité des Blancs. Après le colonialisme et la théorie de la race aryenne, la croyance en la supériorité des Blancs s’est transformée en une croyance en la supériorité de la civilisation occidentale, ouvertement propagée aujourd’hui par l’éducation coloniale. Par conséquent, pour éliminer les préjugés racistes, il est nécessaire de s’attaquer simultanément aux préjugés alliés sur la supériorité chrétienne/blanche/occidentale, tous basés sur la même fausse histoire des sciences.

Auteur

C. K. RAJU

Indian Institute of Advanced Study Rashtrapati Nivas

Shimla 171005 [1]

ORCID: https://orcid.org/0000-0002-5960-7785

Traduction : Bernard Bel

Source : C. K. Raju, “‘Euclid’ must fall: The ‘Pythagorean’ ‘theorem’ and the rant of racist and civilizational superiority – Part 1”, Arụmarụka: Journal of Conversational Thinking 1, no. 1, 2021, p. 127–155.

Introduction

Lors de ma présentation orale (discours-programme lors de la 5e réunion annuelle de l’École de philosophie conversationnelle, de l’Université Eberhard Karls de Tübingen et de l’Université de Pretoria) [2], de nombreuses personnes ont été surprises par mon affirmation selon laquelle le racisme serait avant tout lié à un sentiment de supériorité et non à la couleur de la peau. Pour clarifier ce point, revenons à une question soulevée il y a longtemps (ALLEN 1994 ; WILLIAMS 1944) : qu’est-ce qui est venu en premier, la couleur ou l’esclavage ? La réponse est sans appel : c’est l’esclavage qui est venu en premier, la couleur est venue plus tard. Comme le dit Williams (1994, 7), « l’esclavage n’est pas né du racisme : le racisme a plutôt été la conséquence de l’esclavage ». Cette réponse a été fortement corroborée par d’autres, comme Theodore Allen, d’une autre manière : « Lorsque les premiers Africains sont arrivés en Virginie en 1619, il n’y avait pas de “Blancs” sur place ; et, selon les archives coloniales, il n’y en aurait pas avant soixante ans. »

Étant donné que l’esclavage est arrivé en premier, et que la croyance en la couleur et le racisme est arrivée plus tard, nous devons nous demander : quelle a été la cause de l’esclavage ? La réponse à cette question nous permettrait d’identifier la cause profonde du racisme, en vue de l’éliminer.

Doctrine de la supériorité chrétienne

Pour parvenir à une réponse significative, je suggère que la question soit élargie. Les Africains (les « Noirs » [3]) ont été traités de manière très inhumaine aux Amériques, mais il en a été de même pour de nombreux peuples indigènes, appelés illettrés « Indiens » qui ont été systématiquement exterminés sur tout le continent américain, dans le cadre du plus grand génocide de toute l’histoire de l’humanité. La question de savoir si ce génocide était plus horrible que l’esclavage n’est guère discutable, mais cette combinaison de génocide et d’esclavage est un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité. Un phénomène unique doit avoir une cause unique. Par conséquent, au lieu de chercher une cause à l’esclavage uniquement, nous devrions aspirer à la cause commune de la combinaison unique du génocide et de l’esclavage. (Étant donné que l’esclavage aux États-Unis a lui-même été considéré comme un génocide (CONGRES 1951), examiner la combinaison génocide+esclavage est la chose logique à faire.)

En effet, même pour ceux qui pensent que les conditions sociales sont déterminées par des facteurs économiques (« moyens de production »), il est illogique de considérer l’esclavage de manière isolée. Il ne fait aucun doute que l’esclavage a fourni une main-d’œuvre gratuite. Mais qu’est-ce qui a fourni la terre sur laquelle cette main-d’œuvre a été mise à contribution ? Cette terre a évidemment été mise à disposition par le génocide des populations indigènes des Amériques (et de l’Australie) [4].

Une focalisation trop étroite sur le seul esclavage brouille les pistes : il faut alors prendre en compte des questions (envisagées par Williams) telles que l’esclavage des « Indiens » par rapport à l’esclavage des Noirs, par rapport à l’exportation des bagnards et des pauvres d’Europe — la source prédominante de main-d’œuvre bon marché en Australie, et une cause clé de la guerre civile aux États-Unis. De même, une focalisation trop étroite sur une zone géographique spécifique obscurcit les problèmes, car elle pourrait suggérer que le génocide en Amérique du Nord (des Indiens « rouges ») était dû à des causes différentes du génocide en Amérique centrale (des Mayas, par exemple) ou du génocide en Amérique du Sud (des Incas, par exemple), ou du génocide en Australie (des aborigènes australiens).

En outre, il ne manque pas d’apologistes qui jouent sur le mot « esclavage », ignorant la possibilité que ce mot puisse avoir des significations différentes. Par exemple, chez les musulmans, les esclaves pouvaient être des rois, comme dans le cas bien connu des Mamelouks ou des nombreuses dynasties de princes noirs en Inde (RAJU 2017). Puisque ces « esclaves » pouvaient si facilement, et si souvent, devenir des souverains, ce type d’« esclavage » n’impliquait évidemment pas de racisme. Pour ceux dont l’objectif est de comprendre les origines et le remède du racisme actuel, il est habituel, mais inadéquat, de tenter de restreindre le jeu du mot « esclavage » au type unique d’esclavage (« traite transatlantique ») qui a précédé le racisme.

Mais si l’esclavage (« transatlantique ») a sans aucun doute précédé le racisme, il n’en a pas nécessairement été la (seule) cause. Par exemple, l’esclavage (« transatlantique ») et le racisme pourraient avoir eu une cause antérieure commune. Pour obtenir des informations utiles sur le racisme, nous devons nous concentrer sur une cause unique. L’aspect unique de l’esclavage sur le continent américain est qu’il a été combiné à un génocide. Pour se répéter, un tel phénomène unique doit avoir une cause unique. Ainsi, il est préférable d’essayer de localiser la cause unique du phénomène unique de génocide + esclavage sur le continent américain.

Le terme « cause » est également particulièrement susceptible d’être mal interprété, surtout dans un contexte social où il existe généralement une multiplicité de causes (RAJU 2003). Ainsi, on pourrait facilement soutenir que la « cause » du génocide et de l’esclavage était l’avidité de richesse, ou qu’ils était rendus possibles par de meilleures armes ou des moyens de production mieux développés, bien qu’en fait, même ces causes matérielles soient survenues après la richesse acquise par les nations occidentales par le biais du génocide et de l’esclavage. Évidemment, de meilleures armes — comparées aux Africains et aux Amérindiens — ont été acquises plus tôt par les musulmans après des siècles de croisades. Cependant, je ne m’intéresse pas du tout à ces causes matérielles ni au « comment », mais plutôt au « pourquoi ».

Pour parler franchement, je suis issu d’une tradition où, il y a plus de 2500 ans, à une époque pré-chrétienne prétendument barbare, les disciples de Bouddha et de Mahavira débattaient férocement de la question de savoir s’il était éthique de marcher involontairement sur une fourmi et de la tuer — c’est pourquoi les moines jaïns portent des masques pour éviter d’avaler involontairement toute petite créature ou tout petit insecte, et portent des balais pour écarter les fourmis, etc. qui se trouvent sur leur chemin, afin d’éviter de marcher « involontairement » sur elles et de les tuer. La question qui se pose est donc la suivante : quelle était la justification éthique ou morale en Occident du meurtre et de l’esclavage de masse des êtres humains ?

L’Occident s’est vanté d’un « siècle des Lumières ». Quelles étaient ces étranges « lumières » occidentales qui non seulement autorisaient le génocide et l’esclavage, mais permettaient aux Occidentaux de célébrer et de s’enorgueillir du meurtre de masse et du traitement inhumain d’autres êtres humains, puis d’appeler cette propagation de la « civilisation » ? Inutile de dire que non seulement certaines personnes cupides, mais aussi de nombreux penseurs éthiques de premier plan en Occident, tels qu’Emmanuel Kant (KANT 2011 ; NEUGEBAUER 1990) et John Locke, ont approuvé comme éthique l’esclavage des Noirs. Ainsi, la question ne porte pas sur les causes grossières telles que la cupidité humaine, mais sur les caractéristiques particulières de l’Occident qui ont permis aux gens non seulement de vivre avec ces crimes contre l’humanité — ce qu’étaient évidemment le génocide + l’esclavage — mais de les justifier comme éthiques et moraux. Je soutiendrai que ce qui était impliqué dans cette justification éthique et morale excessivement défectueuse était un sentiment de supériorité mal placé.

Les marxistes ont souvent négligé la question de la justification morale ou éthique, la considérant comme sans importance [5]. Cependant, le fait est que ces justifications « morales » et « éthiques » simplistes existent dans l’esprit des gens. Ces préjugés racistes intériorisés — sentiment de supériorité des Blancs — sont ceux qui nous préoccupent vraiment aujourd’hui, car ils ne peuvent être abolis par la loi, contrairement à l’esclavage, la ségrégation et l’apartheid qui ont été abolis par la loi. L’agitation de Black Lives Matter démontre la persistance des préjugés racistes dans l’esprit, par exemple, de la police américaine qui est censée être l’organisme chargé de faire respecter la loi.

Ma question sur les causes profondes du racisme est en réalité une question sur la manière d’essayer d’éliminer le racisme aujourd’hui en localisant et en éliminant ses causes. La seule façon d’éliminer ces préjugés, ce sentiment de « supériorité blanche » dans l’esprit des gens, est d’exposer impitoyablement leur base défectueuse.

Paradoxalement, la question de la cause de ce préjugé mental devient plus étroite si nous élargissons encore la question pour inclure le colonialisme. Autrement dit, au lieu de considérer l’esclavage seul, ou le génocide + l’esclavage, nous considérons le génocide + l’esclavage + le colonialisme, et nous demandons quelle en est la cause unique. Il est évident que les trois cas de génocide, d’esclavage et de colonialisme impliquent non seulement le meurtre et le traitement le plus inhumain d’un grand nombre de personnes, mais aussi la justification éthique et morale de ces actes. Comme l’a dit le raciste Rudyard Kipling, cela faisait partie du « fardeau de l’homme blanc » et de la « mission civilisatrice ». À l’opposé, Du Bois (1995) a reconnu le lien entre ces trois formes différentes d’oppression lorsqu’il a suggéré de manière allégorique que les opprimés s’unissent pour renverser l’oppresseur.

On oublie parfois qu’il y a eu des génocides massifs sous le colonialisme également, dont les plus célèbres sont le génocide belge au Congo ou les holocaustes de la fin de l’ère victorienne en Inde, dus à des famines provoquées par les Britanniques, comme la famine du Bengale en 1943, etc. Une fois que nous avons décidé d’aborder la question combinée du génocide + esclavage, il est illogique de placer les génocides de chaque continent, comme l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Australie et l’Asie, dans des compartiments séparés. Par conséquent, il est également naturel d’élargir la question de la cause du génocide + esclavage à la question de la cause du génocide + esclavage + colonialisme.

En termes simples, ce que je suggère, c’est qu’au lieu de se concentrer sur le préjugé raciste (ou le sentiment de supériorité des Blancs) de manière isolée, nous devrions élargir la question pour penser également au préjugé colonial (ou au sentiment de supériorité de l’Occident). Cela permet d’arriver à la cause profonde de ces deux préjugés, une cause à laquelle on peut s’attaquer en éliminant la manière dont ce groupe de préjugés connexes est propagé aujourd’hui (par le système éducatif).

Bien sûr, l’esclavage et le colonialisme sont également liés d’autres manières. Il est clair que l’abolition de l’esclavage a été liée à la montée du colonialisme, que cette abolition soit due à la multiplication des révoltes d’esclaves après la révolution haïtienne (DU BOIS 1965, 38-39), ou qu’elle soit due à la perte par la Grande-Bretagne de ses principaux avoirs en esclaves — sa première source de richesse — après l’indépendance américaine, suivie par des faillites en série parmi les exploitations d’esclaves britanniques restantes dans les plantations de sucre jamaïcaines (WILLIAMS 1944), ou si cela était dû aux profits plus élevés du colonialisme et au désir des Britanniques d’utiliser des arguments « moraux » pour concurrencer économiquement les exploitations françaises d’esclaves.

L’inclusion du colonialisme est également importante pour ce qui se passe en ce moment en Afrique. Malgré la fin de l’esclavage, de la ségrégation et de l’apartheid, les Africains continuent à subir l’oppression coloniale aujourd’hui en raison du système éducatif colonial, comme le démontre l’agitation de Rhodes must fall. L’aspect clé de la colonisation est la capture de l’esprit, en utilisant le système éducatif pour endoctriner les gens dès leur plus jeune âge. Le colonialisme utilise des entraves mentales au lieu des entraves physiques utilisées en esclavage. Plus précisément, pour tout objectif réalisable tel que la décolonisation, il est important de comprendre comment l’éducation coloniale, en enseignant le préjugé de la supériorité occidentale, renforce le préjugé de la supériorité blanche.

Enfin, la prise en compte de la colonisation montre clairement que les mauvais traitements infligés aux autres par l’Occident n’étaient pas simplement dus à une meilleure puissance militaire ou à une technologie supérieure ou quoi que ce soit de ce genre. Ainsi, pendant plus de 250 ans après l’arrivée de Vasco de Gama en Inde, les Européens sont restés à la traîne sur le plan technologique et scientifique, mais aussi sur le plan de la force militaire, qui était totalement insignifiante par rapport à celle des Indiens. À la fin du XVIIe siècle encore, le gouverneur de la Compagnie britannique des Indes orientales baisait littéralement le sol devant l’empereur Aurangazeb en implorant son pardon [6] et en payant une énorme amende pour les tentatives d’excès militaires britanniques.

Néanmoins, peu après la victoire britannique de 1757 au Bengale — après l’effondrement du pouvoir centralisé en Inde, et une victoire obtenue grâce à des pots-de-vin [7] payés avec de l’argent emprunté, et non avec une technologie supérieure —, les Britanniques ont très vite (en moins de 30 ans, en 1786) pris de grands airs (JONES 1799), et ont ensuite affiché des avis publics « Indiens et chiens interdits » exactement comme ils l’ont fait en Iran. Il s’agissait d’une autre manifestation du même sentiment de supériorité empreint de préjugés, qui a permis à l’Occident de déclarer « éclairés » le génocide et l’esclavage. On ne peut nier le fait que, tout comme le sentiment de supériorité raciste (ou blanche) persiste aujourd’hui, le sentiment de supériorité coloniale (occidentale) persiste également. Trouver une cause commune aux deux permettrait de se débarrasser des deux. Il est nécessaire de s’attaquer aux deux simultanément, car l’un renforce l’autre.

Un bon point de départ consiste donc à poser la question suivante : pourquoi les Blancs ont-ils été assez stupides pour associer leur sentiment de supériorité à la couleur de la peau ? Pourquoi les Occidentaux ont-ils été assez stupides pour croire pendant des siècles que la couleur de la peau rendait un être humain « supérieur » à un autre ?

Une fois la question posée, la réponse est assez évidente. Tout d’abord, l’Église était la seule autorité morale en Europe. Deuxièmement, une croyance manifestement insensée, qui est répandue et persistante, est un signe certain de superstition organisée. Dans le contexte occidental, la moralité et la superstition pointent toutes deux vers l’Église : en effet, il n’y a qu’une seule agence — l’Église — capable d’exercer une influence aussi étendue et durable sur la pensée occidentale, et de faire croire à un grand nombre de personnes toutes sortes de choses insensées. Le pouvoir de l’Église est basé sur les superstitions, et depuis le lien entre l’Église et l’État au IVe siècle EC, le pouvoir de l’Église a toujours été caractérisé par la diffusion délibérée de superstitions insensées.

Les Amérindiens reconnaissent depuis longtemps le rôle clé joué par l’Église et sa « Doctrine de la découverte chrétienne » dans leur génocide et l’accaparement des terres qui en a résulté (NEWCOMB 1992). La Doctrine de la découverte chrétienne [9] commence avec les bulles papales Dum Diversas et Romanus Pontifex (1454) qui ordonnent explicitement à tous les chrétiens de tuer et de réduire en esclavage les non-chrétiens ET de les piller comme un devoir moral (DAVENPORT 1917, 20-26) :

« d’envahir, de rechercher, de capturer, de vaincre et de soumettre tous les Sarrasins et les païens […] et autres ennemis du Christ [c’est-à-dire tous les non-chrétiens] […]  de réduire leurs personnes à l’esclavage perpétuel, et de s’approprier […]  [leurs] possessions et biens, et de les convertir à […] leur usage et profit. » [9]

Cet ordre papal de génocide et d’esclavage comme devoir moral de tous les chrétiens a été justifié en citant des passages sanguinaires [10] de la Bible. « Demande-moi, et je ferai des nations ton héritage, des extrémités de la terre ta possession. Tu les domineras avec un sceptre de fer, tu les réduiras en pièces comme de la poterie. » [Psaume 2:8-9 N.I.V.] « Que la louange de Dieu soit dans leur bouche et une épée à double tranchant dans leurs mains, pour qu’ils se vengent des peuples, qu’ils lient leurs rois avec des fers, leurs nobles avec des chaînes de fer, pour qu’ils exécutent la sentence écrite contre eux. Telle est la gloire de tous ses saints. Louez le Seigneur. » [Psaume 149:6-9 N.I.V.]

C’est exactement ce qui s’est passé, comme le décrit le récit de première main de Bartolomé de Las Casas (DE LAS CASAS 1992), témoin visuel contemporain de Christophe Colomb :

[…] avec leurs chevaux, leurs épées et leurs lances, les chrétiens commencèrent des tueries et des cruautés étrangères aux Indiens. Ils entraient dans les villages et ne laissaient ni enfants, ni vieillards, ni femmes enceintes accouchées qu’ils n’aient éventrés et mis en pièces, comme s’ils s’attaquaient à des agneaux réfugiés dans leurs bergeries. Ils faisaient des paris à qui [couperait en deux] un homme d’un coup de couteau, ou lui couperait la tête d’un coup de pique ou mettrait ses entrailles à nu. Ils arrachaient les bébés qui tétaient leur mère, les prenaient par les pieds et leur cognaient la tête contre les rochers. D’autres les lançaient par-dessus l’épaule dans les fleuves en riant et en plaisantant et quand les enfants tombaient dans l’eau ils disaient : « Tu frétilles, espèce de drôle ! » […] Ils faisaient de longues potences où les pieds touchaient presque par terre et par groupes de treize, pour honorer et révérer notre Rédempteur et les douze apôtres […]

Ce qui ressort clairement de la description de Las Casas, c’est que ce génocide (l’estimation initiale de Las Casas était de 12 millions de morts [11]) était un crime de haine religieuse, une continuation naturelle de la haine religieuse extrême entretenue pendant les croisades et l’Inquisition. La blancheur n’est mentionnée nulle part ; il n’était question que de « progéniture du diable » et de « la mémoire de Notre Rédempteur et de ses apôtres ». Cela correspond clairement à la définition de génocide religieux de l’ONU. Ce qui importait aux intrus européens, c’était la couleur de la religion, pas la couleur de la peau.

Il ne devrait pas y avoir le moindre doute sur le fait que l’Église chrétienne a été responsable de l’incitation à la fois au pire cas de génocide au monde et au phénomène unique de génocide + esclavage, bien que son implication soit souvent occultée.

Ainsi, dans le débat de 1550 entre Las Casas et le théologien Gaines de Sepulveda (COX 1959, 334), les points résumés pour la défense du génocide + esclavage étaient que les « Indiens » (Amérindiens) devaient être tués et réduits en esclavage : à cause de « la gravité de leurs péchés », à cause de « la grossièreté de leur nature païenne et barbare, qui les oblige à servir ceux qui ont une nature plus élevée, comme celle des Espagnols », et « pour la propagation de la foi ; car leur soumission rend sa prédication plus facile et plus persuasive », etc. Je le répète, ce qui importait à ces intrus européens qui ont lancé le génocide et l’esclavage, c’était uniquement la couleur de la religion, et non la couleur de la peau ; l’Église enseignait que le christianisme exigeait des inhumanités contre les non-chrétiens, pour le bénéfice des chrétiens.

Il ne faut pas se méprendre sur le fait que le génocide et l’esclavage, parce qu’initiés par un pape, étaient limités aux catholiques romains. Comme la Cour suprême des États-Unis l’a expliqué plus tard [12], cette « Doctrine de la découverte chrétienne », bien qu’étant une doctrine religieuse, faisait partie du droit (de se saisir !) du pays. C’est précisément sur la base de cette doctrine religieuse proclamée que les non-chrétiens sont légalement considérés comme si inférieurs que toute terre appartient au premier chrétien qui la repère. Le juge a également expliqué longuement que cette doctrine, bien qu’elle ait d’abord été promulguée par un pape, était bien acceptée par les pays protestants, comme la Grande-Bretagne, et était par conséquent considérée comme faisant partie du droit américain.

Il est également à noter que cela fait partie de la réalité actuelle, et non de quelque chose de désuet : il n’y a eu ni révocation de la décision de justice, ni retrait de cette doctrine haineuse inscrite dans les bulles papales, bien qu’elle ait incité au plus grand génocide du monde, bien plus grand que tout ce que les nazis auraient pu faire. Il n’existe aucune loi contre la négation de ce meurtre de masse. L’Église, ou ses papes, avec leur prétendue ligne directe avec Dieu, n’a pas non plus été condamnée ou pénalisée de quelque manière que ce soit pour son soutien à long terme au génocide et à l’esclavage, bien que les quelques natifs américains qui survivent protestent contre ces bulles papales et ces proclamations génocidaires [13]. Dans ces circonstances, étant donnée la persistance de tels dogmes ecclésiastiques et des lois qui en découlent, comment peut-on éliminer les préjugés mentaux qui y sont liés ?

Les Amérindiens ont clairement identifié le dogme religieux comme la justification morale initiale de leur génocide et de l’accaparement des terres qui l’a accompagné. Bien que de nombreux Noirs et théoriciens de la race aient également souligné le rôle clé des chrétiens (DU BOIS 1965, 33-34) et du dogme religieux dans la justification morale initiale de l’esclavage, ce rôle n’a pas été suffisamment mis en évidence. Pourtant, le rôle de l’Église dans le génocide et l’esclavage est indéniable. Étant donné que l’Église s’est autoproclamée gardienne de la moralité, les idées européennes sur la moralité du 15e au 17e siècle étaient et devaient être entièrement fondées sur les dogmes de l’Église.

En effet, l’esclavage africain était le contexte immédiat de la bulle Romanus Pontifex, ainsi que celui de la bulle Dum Diversas en 1452 [14]. À l’époque, les Portugais venaient d’apprendre à passer le « Cap » Bojador, en restant (contre-intuitivement) assez loin de la terre, et avaient ramené les premiers esclaves africains au Portugal en 1441. En d’autres termes, l’Église avait autorisé l’esclavage des non-chrétiens bien avant les débuts de la traite transatlantique des esclaves : nous ne devons donc pas nous concentrer sur la nature transatlantique de la traite des esclaves qui a suivi, mais sur les dogmes ecclésiastiques pertinents responsables de ses origines et sur les diverses formes des manifestations de ce même dogme aujourd’hui.

Le décor du génocide + l’esclavage était naturellement planté au 15e siècle. Quatre siècles de haine religieuse persistante des chrétiens et d’agression contre les musulmans — les croisades — combinés aux inhumanités extrêmes de l’Inquisition, telles que les brûlures publiques communes des hérétiques et la chasse aux sorcières, avaient déshumanisé les chrétiens, permettant à leurs chefs religieux (l’Église) de promulguer de telles proclamations.

De la supériorité chrétienne à la supériorité blanche

En situant le début du génocide + l’esclavage à la fin des croisades et de l’Inquisition, on peut accéder à un autre éclairage appréciable. Encore une fois, il est indubitable que l’esclavage a précédé la couleur de peau. Toutefois, cela ne signifie pas que l’esclavage ait été la cause de la croyance en la couleur, comme beaucoup l’ont proposé. Au contraire, ils ont tous deux une origine commune dans des préjugés religieux. Du 15e à la fin du 17e siècle, ce qui comptait, c’était la couleur de la religion et non celle de la peau.

Au 16e et au début du 17e siècle, la couleur de la peau ne faisait pas partie de la justification « morale » du génocide ou de l’esclavage. L’idée de la blancheur ou de la couleur de la peau s’est développée plus tard, lorsque la tentative de justifier l’esclavage par la religion, ou le droit moral des chrétiens de tuer et de réduire en esclavage les non-chrétiens, a rencontré des difficultés. Comme dans le débat précédent entre Sepulveda et Las Casas, l’une des raisons pour lesquelles le droit de tuer et de réduire en esclavage les non-chrétiens avait été moralement justifié par l’Église était que cela faciliterait les conversions au christianisme. C’est exactement ce qui s’est passé : après la traite transatlantique des esclaves, de nombreux esclaves noirs se sont convertis au christianisme. Ces conversions ont rendu difficile la justification morale de la poursuite de l’esclavage des Noirs, au seul motif religieux qu’ils n’étaient pas chrétiens. Cela menaçait les énormes profits de l’esclavage et de la traite des esclaves. C’est pourquoi de nombreuses personnes tentaient désormais de restreindre la conversion des esclaves.

Face à cette menace pour le profit, l’Église a rapidement ajusté la moralité, l’adaptant aux profits financiers. Lors de la défense ultérieure de l’esclavage par la Bible (PRIEST 1851), la justification morale de l’esclavage passa maintenant à la « malédiction de Kam », ou à la superstition biblique selon laquelle les Noirs étaient noirs à cause de la malédiction lancée par le Dieu chrétien (et non à cause de la chaleur du soleil comme Hérodote l’avait affirmé il y a longtemps). D’ailleurs, comme Diop (1974, p. 242-ff) l’affirme à juste titre, la version correcte est « malédiction de Kam » (et non « malédiction de Ham ») de l’égyptien km qui signifie noir, ou km.t (kemet) qui signifie Egypte.

Le recours à une malédiction spécifique dans la Bible n’est qu’une indication de la pression exercée par les conversions de Noirs sur le dogme de la supériorité religieuse (chrétienne), pression qui a forcé le dogme à se transformer en une revendication de supériorité raciste (blanche). Ce processus de mutation de la supériorité chrétienne en supériorité blanche était initialement justifié par le fait que les Noirs, même s’ils étaient convertis au christianisme, étaient des chrétiens d’une espèce inférieure, qui avaient été maudits par le dieu chrétien.

Ces arguments bibliques à l’appui du racisme s’inscrivaient dans une longue tradition de traitement des nouveaux convertis, une tradition établie au cours des siècles précédents de l’Inquisition. Depuis le 12e siècle, les inquisiteurs ecclésiastiques ont trouvé pratique d’utiliser des indices visuels rapides (comme les vêtements mauresques) pour repérer les nouveaux convertis suspects, qui s’étaient convertis par la force des choses, après la conquête chrétienne de certaines parties de l’Espagne musulmane. (Rappelons que l’Inquisition était très active même au 16e siècle et qu’elle était appliquée même en Inde, bien que seulement sur le territoire très limité des petits villages de pêcheurs de Goa contrôlés par les Portugais.)

Selon cette tradition de l’Inquisition, les nouveaux convertis qui affichaient de tels signes visuels étaient automatiquement soupçonnés d’hérésie, et donc jugés aptes à subir une torture physique extrême, encore une fois considérée comme un acte hautement moral car supposé reproduire le traitement qui leur serait administré par le dieu des chrétiens. C’est exactement le traitement inhumain qui était couramment infligé aux esclaves noirs. En d’autres termes, même si les Noirs se convertissaient, ils étaient classés comme des « chrétiens inférieurs ». En Amérique, l’indice visuel rapide et évident était désormais la couleur de la peau, utilisée pour repérer et catégoriser les Noirs comme chrétiens « inférieurs » même après (et malgré) leur conversion. Mais il s’agissait ici aussi de la continuation des préjugés religieux.

Pourtant, même l’Église finit par se rendre compte que cet appel à la malédiction de Kam, ou une simple citation de la Bible, ne constituait qu’une mince défense « morale ». Ce fut particulièrement le cas aux 17e et 18e siècles, lorsqu’on a soupçonné une manipulation de la Bible par l’Église après la victoire du protestantisme. Plus nettement, la véracité de la version ecclésiastique de la Bible faisant autorité était remise en question, malgré les tentatives de l’Église de supprimer les critiques de détracteurs tels que le scientifique Isaac Newton [15], même si les véritables opposants échappaient à la censure. Il est à noter que nombre de ces détracteurs de l’Église (mais chrétiens fanatiques) ont fui (ou ont été déportés) en Amérique du Nord pour former une partie importante de sa population blanche/occidentale.

L’autre méthode utilisée par l’Église pour supprimer les critiques consistait bien entendu à brûler les bibles alternatives telles que les plus anciennes (en araméen) trouvées en Inde, comme cela a été fait de manière trompeuse avec les premières bibles chrétiennes syriennes en Inde lors du Synode d’Udayamperoor (« Synode de Diamper » au Kerala) en 1599, pour masquer le fait que ces premières bibles étaient en profond désaccord avec celle sanctionnée par l’Église. Le fait est qu’avec un tel désaccord sur la Bible, une simple citation de la Bible n’était pas une justification adéquate pour la poursuite de l’esclavage des Noirs, dont dépendait alors une grande partie de la richesse occidentale.

Par conséquent, l’Église s’est rabattue sur une autre astuce : la fausse histoire, ou les mensonges sur le passé, et pas seulement les mensonges sur l’avenir, le sort qui attendait les gens après la mort. Il est essentiel de comprendre ce passage d’une justification biblique religieuse à une justification historique laïque pour le reste de cet article.

La fausse histoire est une vieille ruse de l’Église qui remonte non seulement aux croisades, mais aussi bien avant, à l’époque de la première guerre de religion menée par l’Église contre les « païens » dans l’Empire romain entre le 4e et le 6e siècle. Depuis l’époque d’Orosius (5e s.) et de son « Histoire contre les païens », la fausse histoire a été utilisée pour fournir une justification séculaire au dogme ecclésiastique de la supériorité chrétienne (dans ce monde), en suggérant que le dieu chrétien traitait les chrétiens de manière préférentielle même dans ce monde, et pas seulement dans leur prétendue vie future après la mort. Selon la célèbre thèse de Weber (WEBER 2001), la croyance en des récompenses dans ce monde était la base du capitalisme, ou dans le langage cru de Ronald Reagan, « les riches sont riches parce qu’ils sont bons » ou son contrapositif non formulé « les pauvres (Noirs, non-chrétiens…) sont pauvres parce qu’ils sont mauvais ». Bien que Weber ait attribué à tort cette croyance au seul protestantisme, elle a un long passé dans la doctrine de l’Église. Cette justification séculaire était politiquement nécessaire au 5e siècle, car les « païens », qui croyaient en une équité totale, se moquaient des tentatives de l’Église de modifier la croyance en la vie après la mort afin d’instaurer l’inégalité ou la supériorité religieuse des chrétiens.

Rappelons qu’après s’être emparée du pouvoir dans l’empire romain, la première chose que l’Église a faite a été de modifier la croyance antérieure en l’équité, à laquelle adhéraient également les premiers chrétiens. L’équité était une croyance très chère aux premiers philosophes égyptiens/païens, et faisait donc partie du christianisme d’Origène avant Nicée. La croyance en l’équité était exprimée géométriquement en disant que les âmes étaient comme des sphères parfaites, impossibles à distinguer les unes des autres. Mais, l’équité rendait l’Église et ses prêtres politiquement non pertinents : puisque, de toute façon, tous seraient sauvés, pourquoi, alors, quelqu’un voudrait-il se convertir au christianisme ? Et, si personne ne se convertissait, comment l’Église emplirait-elle ses coffres ? C’est pourquoi, en 552, l’empereur chrétien Justinien, qui avait auparavant fermé toutes les écoles de philosophie de l’Empire romain, et le cinquième Conseil œcuménique, ont prononcé la grande malédiction de l’Église (anathème) sur cette croyance en l’équité ou en des âmes sphériques (RAJU 2003, 39 ; chap. 2, « La malédiction sur le temps ‘cyclique’ »).

Cela s’est accompagné d’autres changements majeurs et politiquement acceptables du dogme de l’Église, en faveur de l’iniquité. Par exemple, la croyance « païenne » en la réincarnation (une série de vies après la mort), qui pouvait être scientifique [16], a été remplacée par la croyance chrétienne en la résurrection (une seule vie après la mort), croyance superstitieuse qui incitait les gens à se convertir d’urgence, car ils n’avaient qu’une seule chance, dans cette vie, et non une série de chances. Un effet secondaire de ce phénomène était que l’enfer n’était plus une maison de redressement temporaire, comme l’envisageait Origène [17] (et les « païens »). En conséquence, le dieu chrétien s’est transformé, dès le 5e siècle, d’un réformateur moral en un sadique qui torturait éternellement les non-chrétiens sans objectif futur, mais uniquement pour les punir de ne pas s’être rendus à l’Église et convertis au christianisme avant la mort. Augustin expliquait comment la superstition ridicule de la résurrection « dans la chair » était compatible avec la croyance aux feux de l’enfer [18] en donnant l’exemple des salamandres mythiques qui survivaient aux incendies.

Comme le montre Dante (ALIGHERI 1996), cette superstition de la torture physique éternelle des non-chrétiens, dans la chair, y compris la torture de Paigambar Mohammed, était fermement ancrée dans l’esprit des chrétiens au 14e siècle. Puisqu’il est évidemment moral d’imiter Dieu, cette image perverse d’un Dieu qui torturait éternellement tous les non-chrétiens a permis de justifier moralement les génocides de non-chrétiens et les cruautés physiques de l’esclavage que les chrétiens ont pratiquées. Ces crimes contre l’humanité n’étaient qu’une imitation de ce que faisait le Dieu chrétien, donc considérés comme « moraux ».

Au 15e siècle, quatre siècles de guerre religieuse chrétienne contre les musulmans — les croisades — avaient donné à l’Église une précieuse leçon politique. La haine suscite l’unité et le profit, qu’il s’agisse de la haine contre les musulmans utilisée pour rassembler sous une bannière religieuse les nations éparpillées de la partie chrétienne de l’Europe, ou de la haine des hérétiques qui a uni le troupeau de fidèles en une bande qui jouissait d’un spectacle sadique. Bien que le christianisme ait commencé par être une doctrine d’amour, c’était il y a longtemps. Après s’être liée à l’État au 4e siècle, l’Église a continuellement modifié le christianisme pour l’adapter à sa politique et, au 15e siècle, après les croisades et l’Inquisition, elle l’a transformé en une vicieuse doctrine de haine, pour son avantage politique. Cette haine était dirigée contre tous les non-chrétiens.

Bien entendu, il était naturel pour l’Église d’étendre immédiatement au « Nouveau Monde » sa doctrine de haine extrême envers tous les non-chrétiens. En conséquence, immédiatement après le voyage de Christophe Colomb, le pape a émis une autre bulle papale Inter Caetera (de 1493) (DAVENPORT 1917) — le plus grand accaparement de terres de l’histoire, consistant à diviser le monde en deux parties, toutes deux devant appartenir aux chrétiens : une moitié devait appartenir à l’Espagne et l’autre au Portugal.

En résumé, le dogme ecclésiastique de la supériorité religieuse (chrétienne) a fourni la justification « morale » initiale du génocide et de l’esclavage, c’est-à-dire du meurtre, de l’asservissement et des mauvais traitements physiques inhumains de tous les non-chrétiens. Au 16e et au début du 17e siècle, la couleur de peau ne faisait pas partie de la justification « morale » du génocide ou de l’esclavage, tout était question de la couleur de la religion.

Toutefois, en raison de la pression des conversions et de la faiblesse de s’appuyer sur une seule citation de la Bible (la « malédiction de Kam »), l’Église est revenue au vieux truc de la fausse histoire pour fournir une justification séculaire à sa prétention d’extrême supériorité chrétienne. Il est à noter qu’au 18e siècle, Emmanuel Kant (comme David Hume) n’a pas utilisé la Bible pour justifier son affirmation raciste (KANT 2011 ; NEUGEBAUER 1990) selon laquelle « les Noirs devraient être fouettés jusqu’au silence ». Au lieu de cela, il a eu recours à l’affirmation séculaire selon laquelle les Noirs n’étaient pas créatifs.

La relation entre cette affirmation séculaire et la fausse histoire peut ne pas paraître évidente. Pour la comprendre, posons la question contrefactuelle : Kant aurait-il pu faire une affirmation dédaigneuse similaire visant la philosophie grecque, à savoir que « les Grecs n’étaient pas créatifs » ? Que les Grecs se contentaient de copier les Égyptiens dans tout ce qu’ils faisaient ? Autrement dit, Kant aurait-il pu affirmer la non-créativité des Noirs s’il croyait à l’argument de George James (JAMES 2001) selon lequel la philosophie grecque a été volée aux Égyptiens noirs ?

Plus précisément, je me réfère ici à la substance de la thèse de James, à savoir que la philosophie grecque est issue de l’égyptienne, et non aux détails de son accusation selon laquelle le transfert de l’Égypte à la Grèce aurait été effectué personnellement par Aristote qui aurait physiquement plagié la bibliothèque d’Alexandrie, accusation qui a fait l’objet de nombreux quolibets (LEFKOWITZ 1996). (La philosophie indienne enseigne qu’il faut s’attaquer au fond, ou à la meilleure reformulation possible d’un argument, et que les arguties ne sont utilisées que lorsqu’on ne dispose pas d’arguments solides contre la véritable thèse.) Par exemple, on peut être d’accord avec James que la philosophie grecque imitait la philosophie égyptienne, tout comme les Grecs ont appris des Égyptiens, de la même manière que les Grecs ont manifestement imité les dieux égyptiens [19], ou que l’architecture grecque était une imitation indéniable de l’architecture égyptienne et perse. La thèse de James serait également étayée par le fait que tous les textes grecs de la bibliothèque d’Alexandrie provenaient de traductions de textes égyptiens et persans [20] antérieurs, réalisées à l’époque ptolémaïque. La thèse de James serait également étayée par le fait que les historiens racistes de l’époque attribuaient aux Grecs les réalisations égyptiennes et autres, comme l’affirme plus largement Bernal (BERNAL 1987).

Ce qui est peu connu, en revanche, c’est la contribution de l’Église à la concoction d’une fausse histoire des réalisations grecques. La tradition orosienne de la fausse histoire pendant la première guerre de religion s’est emballée pendant la deuxième guerre de religion, les croisades. Le précédent tour de passe-passe de l’Église sur l’histoire chauvine s’est transformé en un plus grand escamotage d’une histoire des sciences systématiquement fausse, qui attribuait le début de la science aux Grecs primitifs.

Pourquoi la science ? Parce que l’Église croisée voulait revendiquer de précieuses connaissances scientifiques, exactement comme elle a ensuite revendiqué toutes les terres des Amériques et de l’Australie. Bien que l’accaparement des terres ait été compris, l’accaparement des connaissances est peu connu. Les connaissances scientifiques sont utiles pour faire la guerre, même dans une guerre de religion. À l’époque des croisades, l’Europe musulmane — le Califat omeyyade de Cordoue, qui s’est fragmenté avant les croisades, créant ainsi une cible convoitée — était non seulement immensément plus riche, mais aussi très en avance sur l’Europe chrétienne en termes de connaissances scientifiques. Par conséquent, après la surprise de la première croisade, les croisades suivantes ont été un pari perdu pendant des siècles — bien que l’Église ait gagné de l’argent en gagnant ou en perdant (RAJU 2012). Par conséquent, l’Église s’est vite rendu compte qu’elle avait besoin de connaissances scientifiques — par exemple, en matière de construction de ponts — si elle souhaitait s’emparer des richesses des musulmans par le biais des croisades. C’est pourquoi, dans un premier temps, pour s’emparer des richesses des musulmans, elle a aspiré à s’approprier les connaissances scientifiques mondiales disponibles dans les immenses bibliothèques des musulmans — et donc utiles pour la guerre. Il s’agissait de connaissances scientifiques mondiales, car les musulmans avaient, pendant des siècles, ouvertement accepté d’apprendre les mathématiques, par exemple, des Indiens, depuis le 8e siècle [21].

Cependant, il y avait un problème. Pendant des siècles auparavant — et de nombreux siècles plus tard —, l’Église avait déclaré que les connaissances contenues dans les livres non chrétiens étaient hérétiques et qu’il fallait les brûler. Par exemple, au 16e siècle, l’Église a brûlé tous les livres (codex) des Mayas pour cause d’hérésie, et ces livres ne sont donc plus disponibles. Par conséquent, pendant les croisades, il a fallu inventer une excuse pour contourner cette politique de brûlage des livres de l’Église et pouvoir apprendre des livres des musulmans (hérétiques à première vue), au lieu de les brûler, surtout pendant le fanatisme d’une guerre de religion.

L’excuse a été concoctée en manipulant l’histoire. L’origine de toutes les connaissances scientifiques (RAJU 2009) dans les livres arabes capturés a été attribuée aux premiers Grecs. Pourquoi les Grecs anciens ?

Parce que ces premiers « Grecs » étaient alors considérés comme les seuls « amis des chrétiens » (RAJU 2014) [22], comme l’affirme Eusèbe. Attribuer les connaissances contenues dans ces textes arabes aux premiers Grecs a permis de considérer ces textes comme un « héritage chrétien », de se les approprier et de les traduire en masse en latin. À partir de 1125, un grand nombre de textes arabes ont été traduits en latin, et le fait indéniable est que ces traductions ont été étudiées pendant des siècles dans les premières universités européennes — comme Paris, Oxford et Cambridge — créées par l’Église [23] pendant les croisades pour assimiler ce savoir approprié. Cela comprenait les textes traduits d’Ibn Rushd (Averroès), étudié comme « Aristote », et les livres arabes traduits d’Ibn Sina (Avicenne), en particulier al Canon fi al Tibb, utilisés comme textes médicaux clés du 12e au 17e siècle. Était aussi inclus le texte aujourd’hui attribué à « Euclide ».

Notez que le terme « traduction » dans le paragraphe ci-dessus fait uniquement référence aux traductions directes de l’arabe vers le latin. Des traductions de l’arabe vers le grec byzantin ont été effectuées dès le 9e siècle et ont continué jusqu’au 15e siècle. De nombreux textes de ces Grecs byzantins ont ensuite été traduits en latin. Des exemples notables sont le texte du Panchatantra traduit du sanskrit au pahlavi (et au syriaque) puis à l’arabe, au grec et ensuite au latin puis à de nombreuses langues européennes comme Fables d’Esope [24]. En sciences, un exemple notable est l’œuvre astronomique d’Ibn Shatir (KENNEDY ; ROBERTS 1959) traduite du syriaque au grec et ensuite au latin, dont le travail est malhonnêtement attribué à Copernic [25] jusqu’à ce jour.

Bien qu’un grand nombre de livres arabes aient été traduits en latin pendant les croisades, nous nous concentrerons dans cet article (dans la deuxième partie) sur une seule de ces traductions de l’arabe au latin : le texte aujourd’hui attribué à Euclide. Ce texte a d’abord été apporté en Europe chrétienne et traduit en latin par l’espion chrétien Adélard de Bath, parti à la croisade. Peu après, Gérard de Crémone a traduit le texte arabe dans le cadre des traductions massives de 1125 de notre ère de textes arabes provenant de la bibliothèque arabe de Tolède, obtenue après la chute de Tolède aux mains des croisés. Ces traductions ont été financées et organisées par l’Église.

Pendant le fanatisme religieux des croisades, personne n’a remis en question le fantasme extrême d’une origine grecque précoce de toutes les connaissances scientifiques (RAJU 2009) dans les livres arabes capturés (ou importés). Comme l’Église insiste généralement sur la foi, car elle n’a aucune preuve de l’existence de Dieu, du paradis, de l’enfer ou de Jésus, aucun Européen n’a osé demander des preuves. Quoi qu’il en soit, le fait est que les preuves primaires de la prétendue contribution grecque à la science n’existent toujours pas, et que toute demande de preuves primaires pour cette thèse fantastique des origines grecques de la connaissance scientifique est encore aujourd’hui détournée par diverses astuces « académiques » qui font partie de l’héritage de l’Église dans les milieux académiques occidentaux.

Dans la prochaine partie de cet article, nous reprendrons en détail le cas spécifique du manque de preuves pour « Euclide ». Mais d’abord, terminons l’histoire du racisme.

L’attribution aux Grecs des connaissances scientifiques mondiales dans les livres arabes n’était ni le premier ni le dernier cas d’appropriation du savoir. Si l’utilisation génocidaire du « dogme de la découverte chrétienne » pour s’approprier des terres — trois continents entiers — et de la main-d’œuvre — en justifiant moralement/légalement l’esclavage des Noirs — est quelque peu comprise, son utilisation pour s’approprier une énorme variété de connaissances scientifiques indigènes au cours de « l’âge des découvertes » précolonial [26] l’est moins. Parmi ces appropriations post-renaissance des connaissances indigènes, on peut citer les fausses affirmations selon lesquelles, par exemple, « Copernic a découvert l’héliocentrisme » [27], mentionnée plus haut, ou l’affirmation selon laquelle « Newton a découvert le calcul » (RAJU 2007). Ces deux affirmations erronées sont au centre de la fausse histoire de la révolution scientifique. Ce qui est curieux, c’est la ténacité avec laquelle les historiens occidentaux s’accrochent à ces faux « grands récits » fondés sur la foi dans l’histoire des sciences, longtemps après que leur fausseté ait été exposée pour la première fois [28].

Cette fausse histoire des sciences, selon laquelle la plupart des mathématiques et des sciences sont l’œuvre des premiers Grecs et des Européens de la post-renaissance, a permis de passer assez facilement de la défense biblique de l’esclavage, qui catégorisait les Noirs comme des chrétiens inférieurs, à la défense séculaire de l’esclavage, selon laquelle les Noirs n’étaient pas créatifs et les Blancs avaient créé la plupart des mathématiques et des sciences dans le monde. Le passage des Grecs en tant que « seuls amis des chrétiens » aux Grecs en tant que Blancs a été facile. Même si l’on a fini par reconnaître que les « premiers Grecs » censés avoir inventé les mathématiques et la science n’étaient pas originaires d’Athènes mais d’Alexandrie, située en Égypte, en Afrique, il suffisait d’une envolée de l’imagination, qui vient si facilement aux fidèles, pour imaginer qu’ils étaient tous des Blancs. (Bien sûr, la possibilité de traductions grecques anciennes à partir des Égyptiens est axiomatiquement exclue, tout comme la possibilité d’appropriations ultérieures par le biais de traductions de l’arabe au grec byzantin.) Cette fuite de l’imagination est fortement encouragée par les textes scolaires, et Wikipédia aujourd’hui, en affichant des images de peau blanche des auteurs présumés de toutes les œuvres grecques anciennes supposées. Et les Européens de la post-renaissance à l’époque concernée — après la fin des croisades et avant l’abolition de l’esclavage — étaient de toute façon tous blancs, étant donnée l’utilisation massive de la doctrine de la découverte chrétienne pour s’approprier le savoir.

De la supériorité blanche à la supériorité occidentale

Cependant, il subsistait une complication, qui souligne clairement l’importance de ne pas envisager uniquement le génocide + l’esclavage, mais le génocide + l’esclavage + le colonialisme. Avec la montée du colonialisme, même la défense raciste séculaire de la domination chrétienne, basée sur une histoire chauvine des sciences, a été minée par la conjecture fictive de la « race aryenne » inspirée par la thèse de William Jones en 1786 (JONES 1799). Cette conjecture de la race aryenne a conduit à la croyance répandue que beaucoup parmi les colonisés étaient de la même race que le colonisateur.

Une fausse histoire des sciences était toutefois une source essentielle de pouvoir (soft power), et les colonisateurs ont reconnu qu’ils avaient besoin de cette source de pouvoir supplémentaire pour compenser leur faiblesse militaire dans les colonies. La fausse histoire des sciences a permis d’inventer les bases pour affirmer l’infériorité des colonisés. Mais cette histoire des sciences ne pouvait plus être simplement une histoire raciste puisque, selon la perception dominante, cette catégorie raciste ne s’appliquait pas tout à fait aux colonisés. Par conséquent, les historiens coloniaux ont déformé cette fausse histoire des sciences antérieure, pour en conserver la substance, par un autre simple changement de catégories. La revendication de la supériorité raciste s’est transformée en une revendication de la supériorité civilisationnelle : les Grecs anciens et les Européens de la post-renaissance ont été dépeints comme faisant partie de la nébuleuse catégorie civilisationnelle « l’Occident ». En somme, au lieu d’une supériorité raciste blanche, la notion colportée était désormais celle d’une supériorité civilisationnelle occidentale. Mais sa base reste la même : une longue tradition de fausse histoire chauvine chrétienne de la science depuis les croisades, renforcée par les « découvertes chrétiennes » ultérieures de la connaissance, et promue ultérieurement par des historiens racistes et occidentaux.

En Inde, lorsque Macaulay [29] a évoqué la nécessité de changer le système éducatif et la prétendue nécessité pour les Indiens de suivre le système éducatif européen/de l’Église, il a insisté sur la prétendue supériorité civilisationnelle de l’Occident en matière de science. (Toute la chaîne des fausses affirmations, et leurs mutations, est résumée dans la figure 1.) Cette fausse affirmation de supériorité civilisationnelle, et sa conséquence, à savoir que l’imitation de l’éducation occidentale est essentielle pour la science, est aujourd’hui acceptée par les pays de l’OCI (RAJU 2011), la Chine et toute l’Afrique.

Par une ironie du sort, au 20e siècle, des historiens comme Toynbee (1957) ont reconnecté la catégorie « civilisationnelle » « Occident » au christianisme occidental, prévalant en Europe occidentale, qui est la partie de l’Europe qui a exclusivement participé à la colonisation, et qui est par conséquent plus riche. La boucle est ainsi bouclée, la revendication apparemment séculaire de la supériorité civilisationnelle étant à nouveau reliée à la revendication initiale de la supériorité religieuse chrétienne, avec la modification mineure consistant à remplacer « chrétien » par « chrétien occidental », ou l’Occident [30]. Les théoriciens de la stratégie de l’après-guerre froide, comme Huntington (1997), ont repris la théorie de Toynbee, qui a constitué une base théorique essentielle de la politique de l’ère Trump récemment achevée.

Cela me ramène à mon point de départ : le racisme n’est pas lié à la couleur de la peau mais au sentiment de supériorité. Cela a commencé par la croyance en la supériorité religieuse chrétienne (15e au 17e siècle), puis s’est transformé en une croyance séculaire en la supériorité blanche/occidentale. En fin de compte, le fondement de cette justification séculaire de la « supériorité » était une fausse histoire des sciences, initialement concoctée pendant les croisades, puis entretenue par des historiens racistes, coloniaux et autres occidentaux.

Il en ressort une conclusion clé à laquelle il est possible de donner suite : pour éliminer les préjugés sur la supériorité raciste, il faut s’attaquer à toute la gamme des fausses prétentions de supériorité chrétienne/blanche/occidentale, car ces prétentions de supériorité connexes soutiennent fortement les préjugés racistes et coloniaux. En outre, contrairement à l’affirmation de la supériorité des Blancs, fondée sur la seule couleur de la peau, l’affirmation connexe de la supériorité de l’Occident est toujours ouvertement propagée par le système éducatif colonial.

Cette façon de comprendre les choses est utile, car elle nous montre un moyen réalisable d’éliminer les préjugés racistes. Pour éliminer les préjugés racistes d’aujourd’hui, qui persistent dans l’esprit des gens, il ne suffit pas de s’attaquer au seul préjugé de couleur. Il est essentiel de dénoncer de manière concertée les mensonges de l’histoire des sciences, qui sont utilisés pour fournir la justification séculaire des prétentions du sentiment de supériorité chrétien/blanc/occidental.

Cependant, ce programme d’action présente une autre difficulté. L’éducation coloniale est considérée comme essentielle pour les mathématiques et les sciences. Mais, comme nous le verrons dans la deuxième partie, la fausse histoire des mathématiques et des sciences est entrelacée avec une mauvaise philosophie des mathématiques et des sciences, un élément clé de l’éducation coloniale actuelle.

Fig. 1 Évolution des affirmations de supériorité
Fig. 2 Évolution parallèle de la fausse histoire comme justification séculaire des revendications de supériorité.
Fig. 3 Évolution de l'histoire chauviniste chrétienne

Notes

1 Adresse actuelle : Honorary Professor, Indian Institute of Education, J, P, Naik Bhavan, G. D. Parekh Centre, Mumbai University Kalina Campus, Vidyanagari, Santacruz (E), Mumbai 400 098.

2 “‘Euclid’ must fall”, https://www.youtube.com/watch?v=kAP1BcK8mLE.

3 Voir la relecture de (TSRI, 2016) par Jonathan Chimakonam (CHIMAKONAM, 2018).

4 Il est empiriquement manifeste que les populations indigènes américaines et australiennes ont été presque entièrement tuées. Comme nous le verrons plus loin, la « Doctrine de la découverte » a fourni une sanction religieuse et juridique. Voir, par exemple, (CLARK 1995 ; DE LAS CASAS 1992 ; GALEANO 2009).

5 Les marxistes considèrent l’éthique comme une partie de la « superstructure », bien que certains acceptent que la superstructure agisse en retour sur la base (comme clarifié par ENGELS 1890 ; MARX 1970 préface). Gramsci a divisé la superstructure en une partie politique et une partie civile qui forment une synthèse de coercition et de consensus pour créer l’hégémonie. (ANDERSON 2017)

6 Comme dans ce tableau français de 1780 : https://tinyurl.com/2p8pc65s

7 Le fait que cette victoire ait été obtenue par des pots-de-vin est largement connu. Pour un récit simplifié, voir, par exemple, https://www.livemint.com/Opinion/zgaDxyMuIrH3QWHElwkX3M/Blame-the-British-Raj-on-bankers.html. Les Britanniques étaient alors en retard dans les techniques de navigation et aspiraient désespérément à des apports de l’Inde, voir par exemple (RAJU 2007, 2020c). La technologie indienne de l’acier utilisée pour les célèbres épées et canons « Damas », les fusils, etc. était connue depuis longtemps, et un exemple vieux de 2400 ans d’un pilier en fer qui ne rouille pas (pilier d’Ashoka) est exposé au public à Delhi.

8 https://doctrineofdiscovery.org/

9 Voir également Robert Francis, Two Kinds of Beings: The Doctrine of Discovery And Its Implications for Yesterday and Today. Manataka American Indian Council, [2003] 2021. <doctrineofdiscovery.org/blog/two-kinds-being-doctrine-discovery/>

10 Il existe de nombreux passages de ce type dans la Bible. Voir, par exemple, (GREEN 1979, chap. 5, “Mass killings ordered, committed, or approved by God”).

11 Des estimations ultérieures ont estimé le chiffre total à environ 100 millions. (STANNARD 1992).

12 Johnson and Graham’s Lessee V Mclntosh 21 US (8 Wheat) 543, 5 L.Ed. 681 (1823). Pour une liste de cas plus récents, voir https://doctrineofdiscovery.org/law/. Voir également (RAJU 2015).

13 Pour la protestation en cours, voir, par exemple, https://doctrineofdiscovery.org/event/198-years-domination-event/. Aussi (MANATAKA AMERICAN INDIAN COUNCIL 2020).

14 F. G. Davenport, European Treaties Bearing on the History of the United States and Its Dependencies to 1648, vol. 1. Washington, DC : Carnegie Institute, 1917, p. 9. <doctrineofdiscovery.org/the-bull-romanus-pontifex-nicholas-v/>

15  Au sujet de la suppression de la critique en sept volumes de Newton sur l’Église et sa compréhension de la Bible, voir C. K. Raju, The Eleven Pictures of Time: The Physics, Philosophy and Politics of Time Beliefs. Sage, 2003, chap. 4 « Newton’s secret », p. 123-142.

16 Voir (RAJU 2003), ou les résumés détaillés sur le site http://ckraju.net/blog/?p=186.

17 « Appendix on Origen », 2008, http://ckraju.net/papers/Appendix-on-Origen.pdf, pour des citations du De Principis d’Origène.

18 Augustin, Cité de Dieu, Livre 21, chap. 2-4. Les salamandres sont dans le chap. 4. https://www.newadvent.org/fathers/120121.htm.

19 Hérodote, « Presque tous les noms des dieux sont venus d’Égypte en Grèce ». Histoire, Euterpé, 50-58, trad. G. Rawlinson, Encyclopaedia Britannica, Chicago, 1996, p. 60.

20 La traduction de l’égyptien au grec était tout à fait naturelle à l’époque ptolémaïque, et je mentionne spécifiquement la traduction du persan parce que les zoroastriens se plaignent, depuis au moins les 2000 dernières années, de la destruction et de la traduction du Zend Avesta par Alexandre (MÜLLER 1963, p. XXXI). Des « historiens » occidentaux malhonnêtes comme Lefkowitz (1996) le nient tout simplement. Un extrait est affiché à http://ckraju.net/papers/presentations/images/Dinkard-SBE-37-p-xxxi.jpg

21 Voir Faouzia Farida Charfi, La Science voilée. Paris : Odile Jacob, 2013. ISBN 978-2738129895. (NdT)

22 Voir également C. K. Raju, « Not out of Greece » (5 lectures). Université d’Afrique du Sud, Pretoria, janvier 2017, http://ckraju.net/unisa.

23 L’Église a effectivement créé ces universités pendant les croisades (par exemple, MUNRO 1897), et les a ensuite contrôlées pendant des siècles.

24 Edward Gibbon, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, ed. J.B. Bury avec une introduction de W.E.H. Lecky (New York : Fred de Fau and Co., 1906), en 12 volumes. Vol. 7, note 63. https://oll.libertyfund.org/title/gibbon-the-history-of-the-decline-and-fall-of-the-roman-empire-vol-7#Gibbon_0214-07_899

25 « Le “modèle lunaire de Copernic” est identique à celui d’Ibn ash-Shatir… La question n’est donc pas de savoir si, mais quand, où et sous quelle forme il a appris la théorie de Maragha. » (SWERDLOW ; NEUGEBAUER 1984, 47) Une traduction grecque de l’ouvrage syriaque d’Ibn Shatir était disponible à la bibliothèque du Vatican, que Copernic a visitée.

26 En ce qui concerne les appropriations précoloniales dans le seul cas limité des mathématiques indiennes, à partir de l’arithmétique élémentaire, voir, par exemple, Raju (2020a).

27 Dans le cas particulier de Copernic, comme dans celui de Mercator, s’ajoute la crainte de l’Inquisition. Ainsi, Copernic avait peur, comme son ami Scultetus, d’être arrêté par l’Inquisition pour avoir touché à des textes « hérétiques », écrits par des musulmans. En conséquence, il a (a) prétendu qu’il s’agissait de sa propre idée sans faire référence à sa source musulmane, (b) retardé sa publication jusqu’à son lit de mort, (c) rédigé une préface citant diverses autorités ecclésiastiques (pape, cardinal, etc.) pour établir la justesse théologique de la théorie. En tant que telle, cette méthode d’appropriation des connaissances, par des individus effrayés par l’Inquisition, peut être appelée le « modèle inquisitorial » de la fausse histoire.

28 Voir, par exemple, la série d’articles de vulgarisation sur « Marx et les mathématiques », notamment les parties 2 et 4. (RAJU 2020b, 2020d)

29 « Mais lorsque nous passons des œuvres d’imagination à des œuvres dans lesquelles les faits sont enregistrés, et les principes généraux étudiés, la supériorité des Européens devient absolument incommensurable. » (T. B. MACAULAY 1835)

30 Voir la définition du terme « Occident » dans le glossaire de Raju (2003).

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